[VISITE] « Scorsese, l’exposition »

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Visible à la Cinémathèque française depuis mi-octobre, « Scorsese, l’exposition » revient sur l’œuvre d’un des génies du Nouvel Hollywood. A travers une série d’extraits de films, bribes de scénarii, clichés de tournages, costumes, affiches et autres objets cultes empruntés aux collections privées de Martin Scorsese lui-même, de Robert de Niro et de Paul Scharder, les cinéphiles scorsesiens sont invités à (re-)découvrir le travail du réalisateur de Taxi driver et de La dernière tentation du Christ.

« J’ai souvent pensé que si je devais peindre, faire de la guitare ou ressusciter les morts, je serais plus satisfait mais je me surprends toujours, comme un drogué, à revenir au film, à revenir au désir de placer une image après l’autre et de les regarder bouger. Et ce moment – ce process – n’a jamais cessé de me fasciner. » (Martin Scorsese)

A peine a-t-on pénétré dans l’antichambre de l’exposition que s’offre d’emblée au regard un quadriptyque sur lequel sont projetés simultanément, à la manière d’un kaléidoscope enrayé, plusieurs courts-métrages. Tous ont été confectionnés spécialement pour l’occasion à partir de divers plans empruntés aux films de Scorsese. Singulière immersion dans cet univers que ce débordement d’images qui astreint le regard du spectateur à l’éclatement et à la dissémination. Car, à l’usuelle succession des plans se surajoute leur complexe simultanéité. D’un écran à l’autre, un cheminement, à tâtons, se cherche et se trace, se crée et s’efface. Comme l’affirme Jesse Martin dans son livre Décrire le film de cinéma. Au départ de l’analyse : « La promenade du regard en ce qu’elle est élective (elle n’inclut pas tous les éléments dans sa vision, certains sont à peine vus), sélective (dans cette vision plus ou moins parcellaire, certains éléments sont retenus plus que d’autres) et re-productrices (les éléments retenus sont articulés dans une trajectoire discursive) fait osciller la lecture entre gommage et création ». Et c’est bien là le luxe d’une salle d’exposition, offrir un dispositif, autre, qui permet au regard de se mouvoir et d’errer : ici, il ne s’agit plus seulement d’immerger – de noyer – passivement la vision du spectateur dans un flux ininterrompu d’images mais, dans le même temps, de l’obliger à ricocher transversalement. Elle devient ainsi exploration en profondeur des surfaces. Echos, répétitions, altérités et différences tendent alors à définir un ensemble d’éléments problématiques qui sont autant d’axes thématiques de lecture et d’analyse : la famille italienne, New-York ou encore l’héritage cinématographique. Quelques territoires pour une ébauche de la géocinématographie scorsesienne.

Familia italiana

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L’équipe du film Les affranchis (1990) : Ray Liotta, Robert de Niro, Paul Sorvino, Martin Scorsese et Joe Pesci

La famille, évidemment italo-américaine, constitue l’une des premières sources d’inspiration de Marty. Originaire du quartier de Little Italy à New York où a été tourné son film de fin d’étude Who’s that Koncking at My Door (1967), Scorsese a grandi dans cet univers peuplé d’émigrés italiens. Que ce soit ses parents Catherine et Charles qu’il filme dans le documentaire Italianamerican (1974), sa mère à qui il fait jouer à plusieurs reprises de petits rôles de « mama », ou la mafia qu’il met en scène dans Les affranchis (1990), la famille italienne est indéniablement l’un des leitmotivs phares du cinéma de Scorsese. Cette « italianisme » se retrouve même au sein de la grande famille cinématographique scorsesienne : Robert de Niro, Léonardo di Caprio, Franck Sivero et Joe Pesci, quatre de ses acteurs fétiches, ont des origines italiennes, le premier ayant même grandi, en partie, à Little Italy.

Big Apple

« Je suis fasciné par l’histoire de la ville de New York. L’une des choses qui m’a le plus intéressé, c’est la manière dont la ville a été élaborée. » (Martin Scorsese)

Permis conduire

Permis de conduire de chauffeur de taxi ayant servi d’accessoire dans Taxi Driver. Photo : YH

L’exposition accorde également une place importante à la grande amoureuse de Scorsese : Big Apple, a.k.a. New York. Un grand nombre de films de Marty ont en effet été tournés à New York [1] : Mean Streets (1973), New York, New York (1977), Raging Bull (1980), La Valse des pantins (1983), After Hours (1985), le segment « Apprentissages » de New York stories (1989), Les Affranchis (1990), A Tombeau ouvert (1999) Le Loup de Wall Street (2013), Vinyl la nouvelle mini-série qu’il vient de tourner dans le quartier de Little Italy, et, bien sûr, la Palme d’or 1976 Taxi Driver. Parmi eux, deux en relatent l’histoire ancienne et originelle : Le Temps de l’innocence (1991) et Gangs of New York (2002). Le premier s’immisce dans la haute bourgeoisie new-yorkaise de la fin du 19ème siècle et filme ainsi l’érection des premières constructions modernes qui ont donné à New-York le visage qu’on lui connaît aujourd’hui. Le second, dont le récit prend place dans les années 1840, dresse un portrait social, sociétal et politique de la Grande Pomme où deux gangs rivaux, les Native Americans (américains de souche) et les Dead Rabbits (immigrants irlandais), s’affrontent. Pour illustrer cet attachement passionnel à New-York, l’exposition propose de redécouvrir une série d’objets cultissimes. Parmi eux, le costume de poulbot que porte Léonardo di Caprio dans Gangs of New-york, ou encore le permis de conduire de Robert de Niro dans Taxi driver.

Héritage

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Robe portée par Cate Blanchett dans Aviator. Photo : YH

Grand cinéaste, Scorsese est avant tout un grand cinéphile. Hitchcock, Hughes ou encore Méliès, ses films abondent de références cinématographiques et montrent sa profonde connaissance de l’histoire du septième art. Deux d’entre eux rendent directement hommage à des réalisateurs. Aviator (2004) raconte l’histoire d’Howard Robard Hughes (1905-1976), le richissime homme d’affaires connu pour sa passion de l’aviation et du cinéma. De la réalisation de sa première superproduction Les Anges de l’enfer (1930) jusqu’au vol du H-4 Hercules, un hydravion disproportionnée qu’il a lui-même conçu et fait voler, le film retrace un pan de la vie de ce milliardaire excentrique également réalisateur du Banni (1943) et producteur de Scarface (1932) de Howard Hawks ; Hugo Cabret (2011) met en scène George Méliès, l’un des pionniers de la fiction, et donc du spectacle, cinématographique. Le film, adapté du roman de Brian Selznick, tente de concilier, en une dialectique improbable, l’inconciliable : dans le fond, ce long-métrage est une hymne à la magie des films du prestidigitateur de Montreuil ; dans la forme, Scorsese se dote des dernières outils techniques de réalisation cinématographique pour confectionner une œuvre projetable en 3D. Autre hommage cinématographique, la cinémathèque propose la découverte d’un court-métrage publicitaire librement inspiré d’un scénario inachevé d’Hitchcock : The Key to Reserva (2007). Dans ce film qui oscille entre documentaire et fiction, Scorsese se met lui-même en scène et explique sa démarche créatrice puis livre aux spectateurs l’œuvre achevée. A noter que ce film n’est pas la première référence scorsesienne au réalisateur des Oiseaux : en 1967, le court-métrage The Big Shave, sanglant rasage et critique de la guerre du Vietnam, reprenait les codes du cinéma d’Hitchcock. Un documentaire cristallisera à lui seul les aspirations et inspirations cinéphiliques de Scorsese : Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain. Produit à l’occasion du centenaire de la naissance du cinématographe, le film fait l’inventaire des multiples références cinématographiques qui, de l’avènement de l’invention des frères Lumière jusqu’à 1969, date de son premier film Who’s That Knocking at My door, ont influencé son œuvre.

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Palme d’or 1976 : Taxi Driver. Photo : YH

L’amour cinéphagique de Scorsese se traduit aussi par son engagement à défendre le patrimoine cinématographique injustement victime de la dégradation prématurée des copies de films en couleurs. Le premier acte concret de cette lutte pour la préservation des films est la demande formulée au groupe Eastman Kodak de produire des pellicules de meilleure qualité. S’ensuivra la création, avec d’autres réalisateurs de renom (Steven Spielberg, Stanley Kubrick, etc.), de The Film Foundation dont la mission essentielle sera d’assurer la conservation de ce patrimoine cinématographique mondial.

Yoann Hervey


[1] Voir l’exposition virtuelle  “Martin Scorsese, histoires de New York” disponible sur le site de la Cinémathèque française.