Séminaire « Ce que nous font les films (et les séries) »

« On entre et sort d’un film, on ne s’y retrouve pas tous au même endroit. Certains passages nous questionnent plus que d’autres ; c’est aussi comme ça dans le dialogue avec les gens. Il y a toujours des moments où on est spectateur, où l’on écoute l’autre qui parle. Parfois, on questionne, on peut ne pas être exactement du même avis : on ne compose pas nécessairement les mêmes images. »

Gilles Groulx, cinéaste.

Le projet de recherche « Ce que nous font les films » interroge la dimension performative du cinéma, c’est-à-dire les effets qu’ont les films sur la pratique des chercheurs, des cinéastes, des spectateurs. Ces effets témoignent de l’importance du cinéma dans nos vies : les films nous habitent ; ils influencent nos discussions et nos actions, et inscrivent notre expérience cinématographique dans un tissu de relations qui dépasse largement le moment de la projection. Nos recherches se sont jusqu’ici concentrées sur les effets « positifs » du cinéma qui peut devenir un instrument d’interrogation de la réalité (dimension sociale), un espace de délibération (dimension discursive), une expérience de transmission d’états physique et émotionnel (dimension sensorielle), un outil de perfectionnement et d’éducation (dimension éthique).

Nous souhaitons, pour le second volet de ce séminaire participatif, élargir le cadre de notre réflexion en interrogeant ces effets à travers une mise en perspective plus « négative » : il nous arrive tous d’être déçus par un film. Si le rôle du spectateur n’est pas uniquement de recevoir un film, mais bien d’entrer en dialogue avec lui pour attester de sa valeur, alors la déception proviendrait d’un écart entre la proposition filmique et le monde exploré. Nous pouvons sentir que l’angle d’attaque n’est pas le bon, que le montage, par exemple, reconduit la rhétorique dénoncée par le film, que la richesse d’un sujet est affaiblie par la répartition de ce qui est vu et entendu. En tant que cinéphiles, théoriciens ou cinéastes, ces déceptions nous incitent à adopter une perspective critique à partir de propositions inabouties ou inachevées, de potentialités non actualisées. « L’œuvre, précise le philosophe Stanley Cavell, veut quelque chose de nous qui l’observons, l’entendons ou la lisons » ; le film appelle une réponse et l’insatisfaction nous pousse à le prolonger, à remonter ses images, à revoir ses idées.

Pour alimenter nos réflexions, Dork Zabunyan, professeur en études cinématographiques à l’université Paris 8, reviendra sur une séquence de Silvio et les autres (2018) de Paolo Sorrentino, film qui propose un portrait de l’homme politique italien Silvio Berlusconi au lendemain de sa défaite électorale aux élections générales de 2006. Il interrogera la forme choisie par le réalisateur : ce film investit un problème que l’action politique de Berlusconi a effectivement révélé, celui d’une « érotisation du pouvoir » (Michel Foucault) qui n’est pas sans relation avec l’esthétique quasi-pornographique de certaines émissions de télévision des chaînes appartenant à l’homme politique. Une exploration visuelle et sonore d’une séquence du film permettra d’interroger la façon dont cette esthétique engendre une caricature de discours critique pourtant revendiqué par le réalisateur.

Camille Bui, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, reviendra sur le film Une jeunesse allemande (2015) de Jean-Gabriel Périot qui, en mêlant documents et extraits de fiction, retrace l’itinéraire de la première Fraction Armée Rouge dans l’Allemagne des années 1960-70. La fascination suscitée par les traces audiovisuelles de l’énergie et de la rhétorique contestataires contraste avec le contexte distingué de la salle de cinéma «art et essai» d’aujourd’hui. Il s’agit précisément de questionner cette ambivalence du geste cinématographique, de réfléchir aux devenirs esthétiques des insurrections passées, entre réactivation politique et lissage patrimonial d’une histoire subversive.

Pascal Génot, docteur en sciences de la communication, chargé de cours en sociologie des publics à l’université Paul-Valéry Montpellier 3, reviendra sur la série française Mafiosa, le clan. Distribuée dans plus de soixante pays, présentée comme inspirée par The Sopranos (HBO, 1997-2007) et The Wire (HBO, 2002-2008), la série Mafiosa, le clan (Canal Plus, 2006-2014), créée par Hugues Pagan et reprise à partir de sa saison 2 par Éric Rochant et Pierre Leccia, visait une audience tant nationale qu’internationale. Avec pour slogan « Mafiosa : l’homme le plus dangereux de Corse est une femme », elle annonçait également (se) jouer des stéréotypes. Pointant des considérations narratives, esthétiques et de réception, cette étude permettra d’interroger les effets de ce jeu sur un public local ainsi que sa légitimation dans la sphère publique.

  • L’affiche du séminaire est disponible en téléchargement ici.